Beaucoup d’observateurs et de politiques scrutent avec impatience la position qu’aura celui qui était le candidat de l’ancienne majorité à la dernière élection présidentielle, Amadou Ba. Attributaire de plus de 35 % des voix le 24 février 2024, plusieurs spécialistes interrogés se prononcent sur l’avenir politique de l’ancien Premier ministre. À leur avis, pour revendiquer le titre de chef de l’opposition, Amadou Ba doit avoir sa propre structure politique au vu de ses « relations difficiles » avec ses camarades de l’Apr.
Amadou Ba est arrivé deuxième à la présidentielle du 24 février 2024, avec 35,79 %, des voix derrière l’actuel, Président Bassirou Diomaye Diakhar Faye, qui est passé au premier tour avec 54,28 %. Il a été le candidat de l’Alliance pour la République (Apr) et de la coalition présidentielle d’alors, « Benno Bokk Yaakaar » (Bby). Après la présidentielle, il a pris du temps pour se reposer et réfléchir en voyageant en Europe. Amadou Ba est revenu de ce voyage le lundi 13 mai 202′. Beaucoup s’interrogent sur ses perspectives dans le milieu politique sénégalais parce qu’il a réussi, tant bien que mal, à exister lors de la dernière présidentielle malgré le fait que son choix a été contesté jusque dans sa famille politique : l’Apr. Certains pensent même qu’il peut se positionner en chef de l’opposition sénégalaise.
Interrogé sur ce débat, l’Enseignant-chercheur en Sciences politiques à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis (Ugb) Moussa Diaw soutient que malgré son score « honorable », « les choses ne seront pas simples pour lui, car il n’a pas été soutenu par la majorité des responsables de l’Apr ». « Le soutien même du Président sortant a été timide. Certains observateurs de la vie politique parleraient de divergences profondes entre les deux hommes », rappelle-t-il. Des observateurs et même des politiques, à l’image d’Abdou Mbow, président du groupe parlementaire « Benno Bokk Yaakaar » qui s’exprimait à l’émission « l’invité de MNF » sur 7TV, mardi 14 mai, ont invité Amadou Ba à rester au sein de l’Apr.
Toutefois, si l’ancien Premier ministre veut vraiment s’imposer comme chef de l’opposition, ce sera difficile au sein de l’Apr, d’après les spécialistes. « En tout cas, Amadou Ba est confronté à une difficulté majeure. Il n’hérite pas de la direction de l’Apr qui reste toujours sous l’emprise de l’ancien Président Macky Sall. Cela ne lui donne pas une marge de manœuvre suffisante pour réorganiser le parti en sa faveur ». D’après Moussa Diaw, Amadou Ba « reste encore solitaire en n’ayant pas une fonction particulière au sein de l’Apr et de ‘‘Benno’’ ». De ce fait, Moussa Diaw de lancer : « Il ne peut être considéré comme chef de l’opposition parce que l’élection présidentielle ne me semble pas être un baromètre significatif pour la représentation ». Il pense, au contraire, « que les élections législatives constituent l’aune à partir de laquelle on peut mesurer le niveau de représentativité en fonction du nombre de députés que l’on possède dans son groupe au niveau de l’Assemblée nationale ».
Le journaliste et analyste politique Mamadou Sy Albert semble conforter cette thèse. Pour lui, même si l’ancien Premier ministre est arrivé deuxième à la présidentielle de février 2024, pour le moment, on ne peut pas le considérer comme chef de l’opposition parce qu’il n’est pas encore chef de parti, même s’il fut le candidat de l’Apr et de la coalition « Benno Bokk Yaakaar » (Bby). « Si l’Apr et « Benno » acceptent qu’il soit chef de l’opposition, il n’y aura pas de problème, même si certains le contestent et soulignent qu’il n’a pas de légitimité. Certains pourraient le considérer comme chef de l’opposition, mais politiquement, il faut qu’il ait l’aval de l’Apr et de Bby », explique Mamadou Sy Albert.
Créer sa propre formation politique ou rester à l’Apr
Pour avoir une meilleure marge de manœuvre et ainsi mieux s’affirmer dans l’espace politique, certains proches d’Amadou Ba l’encouragent à créer sa propre structure politique. Sur ce point, Moussa Diaw reconnait que « son problème de légitimité à l’Apr impose qu’il se détermine en fonction de ses propres ambitions pour se lancer dans la formation d’un parti politique avec le soutien de ses amis et sympathisants ». « C’est la seule alternative qui s’offre à lui si vraiment il tient à jouer un rôle politique majeur dans le pays. Il trouvera les moyens pour mettre en perspective ses projets politiques sans compter sur le soutien d’un parrain ou d’une majorité politique qu’il ne maîtrise pas », martèle l’analyste politique.
Cette thèse est appuyée par Serigne Thiam, Enseignant-chercheur à la Faculté des sciences juridiques et politiques (Fsjp) de l’Ucad, qui estime qu’Amadou Ba « doit rompre toute relation politique avec Macky Sall et créer sa propre formation politique ou, à défaut, d’être le président ou Secrétaire général de l’Apr suites à des réformes ».
À son avis, l’ancien Ministre de l’Économie et des Finances « peut bien avoir les moyens de s’opposer sans « Benno » ou l’Apr » parce que visiblement, « il n’a pas reçu le soutien du Président Macky Sall ni de certains de ses amis de ‘‘Benno’’ ». Quant à Mamadou Sy Albert, il renchérit que ce qui est plus important pour Amadou Ba, c’est de se positionner en tant que leader d’opinion au vu de son score.
Choix et détermination
Pour de bonnes perspectives dans le milieu politique, l’analyste politique Mamadou Sy Albert affirme que tout dépendra de l’analyse de l’ancien Ministre des Affaires étrangères. Même s’il doit se positionner, M. Sy pense que le plus important n’est pas de créer un parti politique, car il y a déjà beaucoup de formations politiques dans le pays. « Je crois que la meilleure chose est de créer un courant Amadou Ba qui va s’identifier à un mouvement ou une plateforme, pour qu’il puisse affirmer sa personnalité, son projet et son engagement. Pour bien préparer 2029, il faut qu’il crée un mouvement, une plateforme où il va discuter autour de son projet à lui, montrer son programme et son empreinte. Il en a les moyens, l’expérience, le réseau et la connaissance. Il faut qu’il ait cette volonté de devenir un acteur politique dans l’opposition », explique Mamadou Sy Albert. Selon ce dernier, il pourrait aussi réfléchir sur comment négocier des alliances avec d’autres partis de la coalition Bby ou de l’opposition, au-delà de l’Apr. « Il pourrait trouver des alliances dans des partis de « Benno », mais également de l’opposition globalement. Il peut créer un mouvement et ratisser large », insiste M. Sy pour qui le véritable test pour l’ancien Premier ministre pourrait ainsi être les prochaines élections législatives.
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